UTILE À SAVOIR


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vendredi 27 mars 2015

MYRIAM FRANCK



Oui, je sais, c’est un peu facile de vous demander d’ouvrir vos mirettes et de filer ainsi la métaphore après vous avoir jeté de la poudre aux yeux dans mon précédent billet. Mais c’est beaucoup plus subtil qu’il n’y paraît. Les mirettes, ce sont, bien sûr,  les yeux, ces miroirs de l’âme dans lesquels nous plongeons au gré de nos coups de foudre. Une mirette c’est aussi une espèce de campanule que l’on appelle avec délicatesse le « miroir de Vénus ». Enfin, c’est un outil dont se servent les modeleurs et les sculpteurs pour enlever les excédents de matière au cours du modelage. Alors, ouvrez vos mirettes et écoutez parler la sculpture…

Image empruntée ici 

« C'est en taillant la pierre que l'on découvre l'esprit de la matière, sa propre mesure. La main pense et unit la pensée à la matière. C'est l'acte même du sculpteur face à un matériau dont la connaissance ne s'apprend que lentement, et réserve toujours un inattendu qu'il faudra résoudre sans pouvoir jamais rien ajouter, par seul retranchement. Il faut tailler et non blesser la pierre, trouver la solution devant l'apparition d'une veine ou d'une tache non prévue : il faut savoir lutter avec la pierre, la caresser, la polir, savoir avec angoisse comme avec joie, faire surgir la forme que l'on porte en soi, mais qu'elle peut aussi nous avoir inspiré selon sa texture, la forme même du bloc que l'on a choisi ou trouvé. »

Constantin Brancusi (1876-1957)

Visite


Photo JL+L

Il y a quelque temps, je me suis rendu dans l’atelier de Myriam Franck. Je connaissais son travail pour l’avoir admiré dans des galeries ou chez des amis. Mais se rendre dans un atelier, c’est une expérience beaucoup plus intense. On se trouve là où tout commence, à l’aube de la création, bien avant le verbe. Les sculptures de Myriam, sagement alignées sur des étagères, semblent nous regarder, nous inviter à dialoguer. C’est mystérieux, émouvant, troublant. On s’approche, on touche des yeux, on esquisse un geste, l’ombre furtive d’une caresse. On voyage, on fait une halte au détour d’une courbe, on laisse son imagination vagabonder. Des matières lisses, raffinées et colorées côtoient des formes plus rugueuses, plus mates, plus brutes. L’artiste m’observe tandis que je regarde et me propose de placer certaines œuvres sur une sellette. On accède alors pleinement à la troisième dimension. La sculpture s’offre sur son plateau, on la voit sous toutes les coutures. La lumière la met en scène, accentue des reliefs, sculpte des ombres et souligne les blessures et les tourments de l’argile. C’est un double ballet – celui de l’œuvre sur son plateau et celui de l’admirateur qui lui tourne autour. C’est une ronde amoureuse. Un langage silencieux et singulier s’instaure. Certaines formes sont évidentes, d’autres sont plus secrètes – il faut savoir les apprivoiser. Et puis il y a le travail en cours, l’inachevé qui palpite de promesses à venir.




La sculpture en ronde-bosse

Dans le langage courant, une ronde-bosse est souvent définie comme une sculpture « dont on peut faire le tour ». L'expression « ronde-bosse » associe d'ailleurs au mot « bosse », équivalent ancien de sculpture, un adjectif qui implique que l'œuvre ainsi qualifiée est un volume fermé autour duquel un circuit est possible. Possibilité plus théorique que réelle d'ailleurs puisque l'emplacement de nombreuses sculptures en ronde bosse interdit une telle démarche (statue placée dans une niche par exemple).

Encyclopédie Universalis


Photo JL+L

Myriam s’est livrée au petit jeu 
des questions et des réponses

Comment vient-on à la sculpture ? Peux-tu décrire ton parcours artistique ?

Je suis venue à la sculpture, je l’avoue, sans être particulièrement motivée. Une amie, inscrite dans un atelier de la ville de Paris, m’a encouragée à venir voir. Je ne savais pas que j’y resterais. À l’époque, j’étais entre deux boulots et j’avais du temps. Je faisais quantité de choses… alors pourquoi pas cela ?
J’ai tout de suite eu envie de créer des lettres hébraïques en 3D. J’étais graphiste publicitaire de formation. Les lettres, c’était mon domaine et comme je me passionnais pour les études bibliques, j’ai eu envie de transmettre ce que je croyais savoir. Très vite, je me suis fait une place dans le milieu juif et j’ai pu exposer mon travail.

Quelle est ta technique favorite ?

Je travaille surtout la terre avant de faire couler un bronze ou de mouler en résine. J’aime aussi la taille directe, beaucoup plus difficile sur plâtre, béton cellulaire, polystyrène, etc.

Quels sont tes thèmes de prédilection ?

Mes thèmes favoris sont bien entendus les lettres hébraïques, mais aussi la femme dans toutes ses rondeurs. J’ai un faible pour le non figuratif. Malheureusement, à mon grand regret, cela déroute ma clientèle. Mon travail sur les lettres hébraïques m’oblige à donner un sens et une énergie à ce qui, par définition, est plat. C’est un défi, sans cesse renouvelé car chaque lettre à son histoire, sa symbolique, sa spiritualité.


Photo JL+L

Quel rapport entretiens-tu avec la matière ?

La taille ou le façonnage d’une pièce est toujours magique. Le matériau à son mot à dire. C’est un échange que l’on vit à deux. Je me suis souvent entendue parler à la terre, surtout lorsqu’elle ne m’obéit pas. Je décide que je gagnerai sur matière !

Qui sont tes sculpteurs préférés?

Brancusi, Moore, bien sûr et d’autres artistes moins connus, mais ce ne sont pas à proprement parler des modèles pour moi, ce sont des artistes que j’admire.

Peux-tu décrire ton atelier ?

Mon atelier est un lieu magique dans lequel on trouve plein de choses « qui peuvent servir »… À visiter, mais je fais rarement le ménage !



Le site de Myriam est ici


Mes coups de cœur…

Les valises




Les valises de Myriam sont des souvenirs, elles ont la patine du cuir d’antan. Elles évoquent des amoncellements de valises de triste mémoire. Elles sont à la fois voyage et funeste destination. Elles recèlent des souvenirs de vies arrachées et à jamais silencieuses. On retient son souffle à la vue de ces vestiges intacts. Les serrures sont clairement visibles, comme pour indiquer que ces valises ne sont pas destinées à être ouvertes. Ce sont des sépultures à jamais scellées.

Des livres entassés



Myriam les appelle les gardiens du livre. La matière des livres évoque celle des valises. Ce sont des livres de cuir, des livres anciens aux pages épaisses. Au sommet de cet entassement,  un livre entrouvert est une invitation à la lecture. Mais, à l’instar des valises, on ne peut accéder au contenu de ces livres. De petits personnages donnent une dimension monumentale à cette structure aérienne et massive. Certains sont assis, d’autres sont recroquevillés ; certains sont statiques, d’autres sont dynamiques. Un personnage tente de se hisser jusqu’au sommet tandis qu’un autre lui tend une main secourable. On ne peut s’empêcher de penser à Sisyphe. Une fois le sommet atteint, il faudra redescendre et gravir à nouveau l’escalier… C’est à la fois ludique et tragique.

Là-bas


Photo JL+L

Ces gratte-ciel sont la matière de nos rêves, ils se situent dans un ailleurs à la fois étrange et familier. Ils sont arrimés à la terre et s’élancent vers les cieux. On peut les assembler à sa guise, créer des rencontres fortuites, isoler certains, en regrouper d’autres, dessiner de nouvelles découpes, sculpter la lumière. Les fenêtres sont aveugles, les bâtiments recèlent des secrets que jamais nous ne pourrons percer… Et c’est bien ainsi.

Un hommage à Francis Bacon



Photo JL+L

Le visage est torturé, figé en une grimace proche de l’insupportable. Le souffle d’un cri rauque semble s’échapper de cette bouche déchirée, fossilisée. Elle mange l’intégralité du visage. Le nez n’est qu’une arête sinueuse. Les yeux enfoncés du supplicié sont pétrifiés dans une interrogation sans réponse. On touche à l’intime de la douleur dans une représentation fantasmée. C’est l’intensité du regard de l’artiste qui nous fait toucher du doigt le tragique de notre existence. Et pourtant ce visage est beau car sa beauté est dans la vérité de l’émotion qu’il suscite.


« La sculpture qui me touche le plus intensément est gonflée de sang, autonome, en ronde-bosse […] elle est statique, forte, vitale, et il émane d’elle quelque chose de l’énergie et de la puissance des grandes montagnes. Elle vit d’une vie propre, indépendamment de l’objet qu’elle représente. »

Henry Moore, cité in Henry Moore, sculptures et dessins, 6 mai–29 août 1977, Orangerie des Tuileries, p. 16.




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